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mardi 4 mars 2008

Entretien avec Aung San Suu Kyi






Remarques : J'ai déjà publié un discours de Aung San Suu Kyi. Les "remarques préalables" de ce précédant messages peuvent malheureusement aussi s'appliquer à cet entretien - Lire ICI



Entretien réalisé par Lin Zuqiang en novembre 2002, journaliste basé à Paris


Le prix Unesco-Madanjeet Singh pour la promotion de la tolérance et de la non-violence vous a été décerné en 2002. Depuis des années, vous avez reçu de nombreux prix internationaux, dont le Nobel de la paix en 1991. En quoi vous sont-ils utiles ?

Ces distinctions ont été très utiles à notre mouvement, parce qu’elles montrent que nous avons le soutien et la sympathie de gens du monde entier. Pour moi, ces prix sont décernés au mouvement, pas à moi personnellement.


Qu’attendez-vous de la communauté internationale et en particulier de l’ONU ?

Nous voudrions que les Nations unies se montrent très fermes sur la résolution de l’Assemblée générale concernant la Birmanie1 et qu’elles s’efforcent de la mettre en œuvre aussi vite que possible. Et nous aimerions que l’ensemble de la communauté internationale soutienne l’ONU sur ce point.


Quel a été l’impact des sanctions internationales contre le Myanmar ?

Quand on parle de sanctions internationales, on parle généralement des sanctions américaines. Je dois souvent rappeler que ces mesures ne font qu’empêcher les hommes d’affaires américains de faire de nouveaux investissements dans le pays. Mais les investissements antérieurs à l’instauration des sanctions sont toujours là. On ne peut donc pas dire que ces mesures aient eu des conséquences économiques importantes. En revanche, elles ont un impact politique très fort parce qu’elles montrent que le peuple américain est préoccupé par ce qui se passe en Birmanie. De plus, le fait que les Etats-Unis aient imposé des sanctions a rendu les autres pays plus attentifs à la situation birmane.


Pensez-vous que ces sanctions accélèrent l’évolution démocratique ?

Les sanctions toutes seules, non. Dans une situation comme la nôtre, très complexe, il faut toute une série d’actions pour réaliser les changements souhaités.


Qu’est-ce que la démocratie pour vous ?

C’est exactement ce que je demande aux gens quand je voyage à travers la Birmanie, et en particulier aux habitants des régions rurales et des villages. Je leur demande ce qu’ils entendent par ce mot et pourquoi ils veulent la démocratie. Bien souvent, ils répondent simplement : « Nous voulons être libres ».

Je définis donc la démocratie comme un système qui garantit à la fois la liberté et la sécurité. Bien sûr, les gens ont envie de se sentir protégés mais ils ne veulent pas d’une fausse sécurité qui n’autorise aucune liberté. Pour parvenir à cet objectif, il faut instaurer des institutions démocratiques de base, comme un pouvoir judiciaire indépendant, des élections régulières, libres et loyales, un gouvernement élu, une presse libre et ainsi de suite. Au-delà, je pense que nous trouverons probablement notre propre forme de démocratie. C’est ce qui s’est passé partout dans le monde. La France a sa propre forme de démocratie, les Etats-Unis la leur, de même que la Suisse, l’Angleterre, etc.


Vous avez retrouvé la liberté en mai 2002. Le soutien international dont vous avez bénéficié a-t-il joué un rôle dans cette libération ?

Oui. Comme je l’ai dit, le soutien international n’est pas tout mais il joue un rôle important.


(remarques : Aung San Suu Kyi est libérée de sa résidence surveillée le 6 mai 2002, mais depuis 2003 Aung San Suu Kyi a été, malheureusement, de nouveau assignée à résidence (ndlr). En savoir plus lire ICI )


Quels sont les autres facteurs ?

Le fait que les Birmans veuillent le changement. Et le fait que nous ayons intérêt, des deux côtés, à être en bons termes plutôt qu’en mauvais termes. J’aimerais accorder le bénéfice du doute au régime, croire qu’il veut vraiment le bien du pays et qu’il comprend que la réconciliation est la meilleure solution pour tout le monde.


Etes-vous vraiment libre ?

Je suis libre. Mais c’est une liberté relative car les gens, eux, ne sont pas toujours libres de venir vers moi. Mon dernier voyage dans l’Etat d’Arakan l’a prouvé. Les gens n’ont pas pu s’approcher de moi ni me manifester leur soutien. Lorsque j’ai été libérée, j’ai bien dit que cela ne signifiait pas que la démocratie avait gagné. Nous sommes loin d’être arrivés au bout du chemin. Nous sommes encore quelque part au début et il faut avancer. Et ce que je voudrais dire aujourd’hui, c’est que dans la mesure de nos moyens, il faut avancer vite, pour le bien de ce pays.


Depuis votre libération, avez-vous pu reprendre normalement vos activités politiques à la tête de votre parti, la Ligue nationale pour la démocratie ?

Je ne peux pas dire que je mène les activités d’une responsable normale d’un parti normal, car aucun parti politique ne peut fonctionner normalement en Birmanie. C’est ce que nous essayons d’obtenir car c’est l’un des facteurs importants du processus de changement. Dans une certaine mesure, la situation politique a évolué. Le progrès le plus évident, c’est sans doute que La Ligue nationale pour la démocratie a pu élargir son champ d’action. Et je peux me déplacer dans tout le pays. Mais la nouveauté la plus importante que j’ai découverte n’est pas forcément liée à ma libération : il s’agit du soutien massif des jeunes Birmans et du sens de la solidarité qui existe entre les différents groupes ethniques du pays.


A ce propos, quel degré de priorité attachez-vous à la construction d’une coalition nationale ?

C’est un défi essentiel ; c’est même le problème numéro un. La Birmanie est une union, un pays composé de nombreuses communautés ethniques. Nous n’aurons jamais la paix si nous n’établissons pas une vraie solidarité entre ces communautés. Ce qu’il nous faut, c’est un système fédéral qui tienne compte de leurs aspirations. Comme je l’ai déjà souligné, j’ai découvert une très grande solidarité entre les différents groupes ethniques, lorsque je me suis rendue dans les Etats de Shan et d’Arakan.

L’accueil que m’ont réservé les habitants de ces régions a été très réconfortant et extrêmement encourageant. Je crois que nous progressons régulièrement vers une solidarité interethnique authentique.


Quelles sont les prochaines étapes ?

Il faut instaurer le dialogue. Nous devons nous asseoir autour d’une table avec le SPDC [le Conseil d’Etat pour la paix et le développement, organe dirigeant du Myanmar] et débattre des questions importantes pour le pays.


Quelle est la situation des droits de l’homme en Birmanie ?
Nous ne jouissons pas des droits les plus élémentaires définis par la Déclaration universelle.

Qu’en est-il des prisonniers politiques ?
Un certain nombre de prisonniers politiques ont été libérés mais des centaines d’autres sont toujours en détention. Nous demandons qu’ils soient libérés sans condition et aussi vite que possible.


Où en sont les négociations sur ce point ?

Il n’y en a pas.

Quels sont les principaux besoins de la Birmanie en matière d’éducation et de culture ?

Pour ce qui est de l’éducation, nous avons de multiples besoins. Je pense en particulier à l’enseignement supérieur car trop de jeunes quittent l’école sans être formés. Tout le système doit être revu.

Pour ce qui est de la culture, notre pays abritant de nombreux groupes ethniques, il est capital de préserver la diversité des cultures. La démocratie donnera à tous la possibilité de contribuer au développement de l’éducation et de la culture. Car la démocratie permet aux gens d’utiliser librement leurs talents pour améliorer la situation de leur pays. Ce que je voudrais, c’est voir fleurir de nombreux organismes, instituts et activités culturels et éducatifs.


Qu’avez-vous à dire aux gens qui estiment que les droits de l’homme sont un concept occidental qui ne s’applique pas à l’Asie ?

Je leur pose une question : les Asiatiques ne sont-ils pas des êtres humains ?


source : unesco

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