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lundi 26 mai 2008

Birmanie, "entre mascarade démocratique et carnaval humanitaire"



Un article de
Stéphane Landowski et Olympe Doutremot (Stéphane Landowski est un ami de Hervé Flejo qui est à l'initiative de Aide Birmanie)

Pour rappel, Il a présenté le 8 mai 2008, la démarche d'Hervé Flejo : ICI

J'ai trouvé cet article (publié ce jour sur un nouveau blog sur la Birmanie, voir lien en bas de ce message) et qui résume vraiment très bien la situation, grâce à un commentaire laissé sous mon message Birmanie, que les rescapés crèvent, mais discrètement surtout....


  • La junte militaire birmane, entre mascarade démocratique et carnaval humanitaire
Dans l'opinion internationale, la Birmanie fait désormais figure d'état voyou, appartenant à un imaginaire axe du Mal. Le référendum organisé par la Junte avait précisément pour objectif de restaurer une image sévèrement dégradée par les évènements de septembre 2007.


Le référendum s'inscrivait dans une double perspective : calmer l’opinion birmane et et séduire la communauté internationale *

Ce vote, annoncé précipitamment au mois de janvier et confirmé moins de trois semaines à l’avance s’inscrivait dans une double perspective : calmer l’opinion birmane, meurtrie par la répression conséquente aux manifestations de moines, et séduire la communauté internationale en jouant sur les formes démocratiques.

Il s’agissait avant tout de légitimer un régime qui manquait cruellement d’assise constitutionnelle depuis sa fondation, en 1962 et en particulier depuis sa Constitution lacunaire de 1974.

Ce référendum était conçu, dès le départ, comme un plébiscite visant à montrer de façon éclatante à la communauté internationale l’adhésion de la population birmane à son gouvernement. Le New Light of Myanmar, l’organe de presse officiel du régime, rappelait d’ailleurs non sans une certaine obstination que voter « oui » était un devoir national.

Pour preuve que cet exercice démocratique n’en épousait que les formes, il suffit de signaler que très peu de Birmans avaient pu prendre connaissance du texte constitutionnel et ce pour plusieurs raisons.
Le texte était disponible à la vente quelques semaines seulement avant le vote, à un prix qui ne permettait pas sa diffusion massive.
D’autre part, le faible niveau de l’instruction générale hypothéquait sérieusement sa compréhension.
La vision finalement retenue par l’opinion birmane est celle formulée par l’opposition en exil, qui formate et schématise les discours à tenir face la Junte : ce vote confirme la place des militaires au gouvernement ; l’impossible accession au pouvoir de toute personne mariée à un étranger écarte définitivement Aung San Su Kyi du jeu politique.


les Birmans ne se font pas d’illusion

En dépit de toute la propagande orchestrée par le régime, les Birmans ne se faisaient pas d’illusion quant à la sincérité de ce vote. Les élections volées de 1990, encore dans les mémoires, avaient vu les militaires passer outre des résultats qui plaçaient la NLD, le parti de la Dame, en tête. Cette kermesse pseudo-démocratique tenait une place si importante dans les plans de légitimation de la Junte que l’annonce des résultats du référendum a évincé le cyclone Nargis, survenu les 2 et 3 mai 2008.

Selon la Junte, le « oui » l’emportait de manière triomphale avec plus de 92 % des voix - le reste importait peu. Le poids donné par la Junte à sa propre légitimation obstruait l’espace politique et médiatique et aucun évènement, aussi catastrophique soit-il, ne pouvait entraver la feuille de route des généraux.

Aucun évènement, aussi catastrophique soit-il, ne pouvait entraver la feuille de route des généraux.

Deux semaines avant la tenue du référendum, le service météorologique indien, avertissait Naypyidaw de l’imminence du cyclone. Préférant minimiser l’information et/ou n’ayant pas saisi la pleine mesure de la menace, les militaires ont décidé de ne pas la relayer aux différentes autorités locales.

Dans un pays où le réseau de communication est de mauvaise qualité, tout programme d’évacuation d’urgence aurait été, de toute façon, sérieusement compromis.

En tout état de cause, l’absence totale de réaction de la Junte au lendemain de la catastrophe s’explique par son obstination farouche à la nier. Alors que l’Occident voyait dans la catastrophe l’incurie des militaires à organiser des opérations de secours, Naypyidaw y percevait seulement un obstacle supplémentaire à sa légitimation.

La Junte fonde sa politique sur une base irrationnelle qui échappe à nos paramètres d’appréhension.

En outre, et c’est un facteur souvent ignoré par l’Occident, la Junte fonde sa politique sur une base irrationnelle qui échappe à nos paramètres d’appréhension. Les décisions étatiques sont soumises à l’accréditation de la mystique et de l’astrologie : le calendrier du référendum -de même que son résultat- ont été décidé non pas sur la base d’un pragmatisme politique, mais par superstition.

Dans ce cadre, il était d’autant plus important pour la Junte de nier la réalité de la catastrophe qu’elle pouvait être interprétée comme un désaccord divin. Pour les généraux, le véritable drame n’est pas le cyclone lui-même, mais la menace d’une intrusion étrangère et en particulier occidentale, tant sur les plans politiques que territoriaux. D’où les réticences de la Junte à reconnaitre officiellement l’ampleur de la catastrophe.


Aujourd’hui, la communauté internationale considère la période post-cyclonique comme l’un des plus graves échecs de l’histoire de l’humanitaire. Ces trois dernières années, la politique menée par la Junte a conduit à une éviction lente et insidieuse des ONG.

Au moment de la catastrophe, le nombre d’organismes susceptibles de porter secours aux sinistrés était très limité, d’autant que la mobilité des équipes est systématiquement dépendante de l’autorisation préalable des autorités. L’ampleur de la catastrophe n’a pas infléchi la politique de la Junte à ce sujet, au contraire. Les équipes de secours internationales, elles aussi soumises au bon vouloir de l’administration qui délivre les visas, ont été privées d’intervention, exacerbant l’incompréhension et la colère de l’Occident qui n’a pas tardé à politiser l’événement.

Cette politisation, née de la frustration d’un Occident à pouvoir réaliser son idéal humanitaire couplée à une empathie des opinions à l’égard des sinistrés s’est traduite par une nouvelle séquence de diabolisation de la Junte. La politisation de la catastrophe et le traitement frontal de l’information par l’Occident ont sans aucun doute repoussé la Junte dans ses derniers retranchements, contribuant à la rendre plus paranoïaque qu’elle ne l’était déjà.

Il n’aura pas fallu longtemps après le passage de Nargis pour que les pays occidentaux proposent une aide substantielle à la Birmanie, financière, matérielle et humaine. Si la Junte a elle-même réclamé l’appui financier, elle a immédiatement restreint l’accès à son territoire, et en particulier aux régions touchées.


Les ONG sont assimilables au cheval de Troie de l’Occident

Pour Naypyidaw, les ONG sont assimilables au cheval de Troie de l’Occident, ce qu’a révélé ces derniers jours l’affaire du Mistral.

Afin de répondre à la pression de l’opinion, la France a pris l’initiative d’envoyer un navire chargé de matériel de secours. Aux yeux des militaires, le Mistral n’est qu’un navire de guerre, confirmant leur crainte à l’égard des intentions de l’Occident. Les tensions suscitées par cette affaire ont grippé le processus de collaboration et, en dernier ressort, fermé les perspectives d’aide occidentale sur le terrain.

Toutefois, fermeture vis-à-vis de l’Occident ne signifie pas barrage de la communauté internationale : la Birmanie accepte depuis peu l’envoi de personnels spécialisés par l’ASEAN, dont elle est membre depuis 1997. La xénophobie d’Etat et les réticences à s’ouvrir à une aide visiblement insérée dans les enjeux politiques, ont déterminé la Junte à faire le tri parmi les pays donateurs. La polémique suscitée par l’aide occidentale aura montré à la Junte l’importance du traitement de l’information dans la gestion de la période post-cyclonique.

Les appels répétés de l’Occident à soutenir les sinistrés ont entraîné un infléchissement de l’attitude de la Junte. Sur Myanmar TV, la télévision officielle, les généraux ont tenté de séduire les Birmans en mettant en scène de grandes opérations de secours dans les zones sinistrées. Si les soutiens ne parviennent qu’à une partie seulement des régions qui en ont besoin, il ne faut pas négliger l’impact de cette assistance qui prend sournoisement les traits de l’aide humanitaire occidentale…


L’avenir des deux millions de sinistrés apparait aujourd’hui bien incertain.

En dépit du soutien promis par l’ASEAN et des aides financières de l’Occident, l’avenir des deux millions de sinistrés apparait aujourd’hui bien incertain. Les Birmans, meurtris par la répression qui a suivi septembre et les dégâts du Typhon ne sont plus dupes de leur gouvernement. Une colère sourde traverse l’opinion, sans toutefois encore laisser entrevoir les prémices de la révolte.

Il n’est pas impossible que Nargis ait un impact fort sur le futur politique de la Birmanie. Des précédents dans l’histoire l’ont montré : les grandes catastrophes peuvent engendrer des profondes remises en causes des systèmes politiques, comme en témoigne l’exemple de l’Indonésie confrontée au Tsunami en 2004.


La double tentative de séduction démocratique et humanitaire a échoué

Au final, la double tentative de séduction démocratique et humanitaire a échoué, tant auprès des Birmans que de la communauté internationale.

Cet échec aggrave aujourd’hui l’isolement et l’image d’une Junte incapable d’assumer le contrôle des affaires internes et de gérer correctement ses relations avec l’outre-frontière.

Si le peuple birman fait aujourd’hui figure de martyr, la Junte est sans doute la première victime de son échec politique : ce grand carnaval démocratique et humanitaire aura permis de jeter bas les masques. L’échec de son entreprise de légitimation et son manque de crédibilité la fragilise et l’isole plus encore. Hier sereine quant à sa feuille de route vers « une démocratie disciplinée », elle se trouve aujourd’hui entravée par la médiatisation de son incohérence.


Source : Stéphane Landowski et Olympe Doutremot : Blogburma2008
* les sous titres (en vert) ne sont pas dans le texte original


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