Un magnifique témoignage de Mr Aung Ko représentant de "the National Council of the Union of Burma" en France. Une vraie leçon d'humilité et de compassion.
J'ai déjà publié ce témoignage au mois de septembre 2007 , mais il est plus que jamais d'actualité: La Birmanie se trouve toujours "dans une situation politique et sociale déchirée." et a toujours besoin de l'aide de la communauté internationale.
Les conséquences dramatiques du Cyclone Nargis ont permis à la Birmanie de revenir sur le devant de la scène internationale, mais pour les Birmans l'enfer au quotidien existait déjà depuis longtemps
"Je veux vous dire merci"
(...) Je veux vous dire merci pour tous ceux qui n’ont pas le droit de le faire dans mon pays, la Birmanie, encore nommée « Myanmar » par la junte non-élue et non-démocratique ; arrivée au pouvoir par son coup d’état et ses atteintes massives aux droits de l’Homme. C’est un très grand honneur et privilège pour moi de pouvoir vous remercier et je souhaite le faire pour tous ceux qui ne disposent, dans mon pays, ni de la liberté de pensée, ni de celle de pratiquer leur religion ; pour ceux qui n’ont pas accès à la presse libre, qui n’ont pas la liberté de parole, et d’expression, qui ne peuvent ni se réunir, ni former une association.
La liberté est inexistante en Birmanie
La Birmanie, comme vous le savez peut être, est surnommée le « Pays des mille pagodes et de la douceur de vivre » mais, depuis des années, il est devenu le pays de la dictature militaire et des violations des droits de l’Homme. Il est gouverné au prix de mille mensonges.
On m’a demandé plusieurs fois si la liberté est contrôlée en Birmanie. Selon la Loi du Karma, ou « Loi de Cause et Effet », la liberté est triple par nature : elle est physique, verbale et mentale. Et bien, au regard de ces trois dimensions de la liberté, ma réponse à cette question sur mon pays est simplement : Non ! La liberté en Birmanie n’est pas contrôlée, elle est tout bonnement inexistante.
La liberté a été confisquée par la junte militaire, par le coup d’état et par la loi martiale. La liberté n’existe que pour les généraux, nommés par eux-mêmes, non-élus et non-aimés par le peuple, et pour leurs marionnettes. Ceux qui aiment la démocratie en Birmanie, les électeurs et les élus du peuple, sont en fait considérés comme les ennemis du peuple. Cela a été décrété par la dictature militaire qui en conséquence clame sans cesse qu’ils doivent être, « à tout prix », « écrasés » ou « annihilés ».
Le message officiel, reconnaissez-le, est pour le moins paradoxal dans un pays où se sont tenus successivement deux Synodes ou Conciles Bouddhistes. Alors, comme le personnage « Aung Ko » que j’ai joué sous mon propre nom dans le film de John Boorman « Rangoon » ou « Beyond Rangoon », je le redis encore aujourd’hui : « En Birmanie, tout est illégal ».
Le peuple a voté
Oui. Il y a bien eu des élections législatives nationales et le peuple a effectivement voté. Les votes ont été décomptés et une majorité de plus de 82 % a été reconnue et annoncée. Mais le régime militaire n’a pas su honorer les électeurs et les élus. Il s’agit là d’une malhonnêteté absolue, unique par sa forme dans toute l’histoire des sciences politiques et sociales. Et depuis lors, la loi en Birmanie n’est que ce que les Généraux autoproclamés en font ; elle peut être changée sans contrainte pour eux et elle change d’ailleurs de jour en jour, selon le bon vouloir et les intérêts de la dictature en place.
Par dérision, le peuple birman raconte qu’il existe en fait en Birmanie une loi qui dit : « Je te hais ». Elle aurait un mode d’application simple qui ferait dire aux soldats à leurs victimes : « On ne t’aime pas ; la prochaine fois, on ne t’enverra plus en prison ». Nous pouvons imaginer facilement ce que ces mots veulent dire ; ils ne peuvent signifier autre chose que la disparition et l’élimination de la victime, simplement justifiée par la haine.
Le peuple dépeint bien toute l’attitude de la junte et il n’y a rien qui puisse être aussi différent de tout le message de la religion et de la culture de mon peuple. La corruption de l’esprit et du cœur entretenue par les Généraux birmans et par leurs hommes de main, le pouvoir politique et social qui n’est pas établi conformément à la loi civile, tout fait souffrir les co-citoyens en silence, comme les prisonniers de conscience et d’opinion.
Mais face à la tyrannie et à la dictature, le peuple de Birmanie soumis à l’un des pires joug qui existe dans ce monde a toujours la force et le courage de vouloir se libérer de ses entraves, de se mettre debout et de montrer qu’ils ne renonce jamais à faire preuve de liberté de conscience ou de pratique, au nom de la dignité humaine. Pouvons-nous agir sans entrave ?
La vraie essence de notre combat est le combat de l’esprit.
Lorsque l’homme est prisonnier de conscience ou d’opinion, lorsqu’il doit baisser la tête et s’incliner devant l’usage de la force et de la violence, il arrive, comme souvent dans les pays dont nous parlons aujourd’hui, que son esprit soit brisé par la torture ou par la réclusion. Mais il arrive toujours que certains hommes et femmes, héroïques ou au-dessus du commun, ne se laissent pas abattre et choisissent de répondre à la violence avec noblesse de cœur et tranquillité d’âme. Mes chers confrères et consœurs, soyons tristes, mais pleurons de joie du fait que nous pouvons agir en commun pour atteindre un résultat dans nos pays. La vérité a un témoin. N’est-ce pas ?
Je rejette absolument les clichés selon lesquels la religion pourrait impliquer nécessairement, intrinsèquement, inévitablement, des formes de soumission politique. Le combat politique et social non-violent trouve sa vigueur, en Birmanie, dans la force de l’amour non-violent et de la compassion. Il est absolument pacifique, mais essentiellement actif au nom de la vérité.
Il ne s’agit pas du tout de résistance civile passive, ni de non-résistance « lâche », comme l’on dit et comme on l’entend trop souvent. Autrement dit, c’est une force non-violente de non-coopération avec l’injustice et les criminels. C’est la désobéissance civile qui mène à la résistance forte et bonne pour pouvoir dire « Non », pour pouvoir s’opposer aux princes des ténèbres qui veulent faire peur à leurs propres citoyens par les balles, et qui tentent de les dominer.
La vraie essence de notre combat est le combat de l’esprit. Nous combattons avec nos « sources » que nous avons cultivées et avec nos « forces intérieures » que nous avons développées. Au-delà de la passion de soi, de l’amour personnel, il s’agit d’un amour universel sans barrière et sans exception, à l’égard de tous les êtres vivants. Nous suivons notre chemin de lutte et de combat politique et social, par une autre culture et par un autre esprit de combat. Que la pensée soit plus forte que des balles !
La compassion et la sagesse
Pour qu’un homme ou qu’une femme soit parfait, selon l’enseignement du Bouddhisme, il ou elle doit développer conjointement et également deux qualités : la compassion Karuna, d’une part, et la sagesse Panna d’autre part.
La compassion englobe l’amour, la charité, la bonté, la tolérance ; toutes les nobles qualités de cœur qui sont le côté affectif.
La sagesse, quant à elle, signifie le côté intellectuel, c’est-à-dire toutes les qualités de l’esprit.
Si le côté affectif est développé, seul, tout en négligeant le côté intellectuel, on devient un sot au bon cœur. Si, au contraire, on développe exclusivement le côté intellectuel en négligeant l’affectif, on risque de devenir un intellectuel manquant de sentiment pour les autres. La perfection exige que ces deux côtés soient développés l’un tout autant que l’autre. C’est le but de la voie bouddhiste qui mène à l’absence de peur, d’impureté. Ce qui constitue la peur, l’impureté, c’est l’avidité, la haine, et l’illusion.
Daw Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix, a dit : « La peur est une habitude. Elle ne me fait pas peur ». Elle dit qu’elle n’a pas peur parce qu’elle est, elle-même, enveloppée de l’amour universel et de la compassion. Seuls les êtres inhumains sont incapables de comprendre une chose ; c’est que la violence ne peut être stoppée que par la non-violence. La violence ne cesse jamais par la violence, comme la haine ne cesse jamais par la haine ; c’est seulement par l’amour que la haine cesse. C’est la Loi universelle enseignée par le Bouddha depuis 2 546 ans. C’est ainsi que la voie bouddhiste nous l’indique : « La sagesse et la compassion ne doivent pas être séparées ». C’est pourquoi un vrai bouddhiste, comprenant avec cœur et esprit les choses telles qu’elles sont, est plein d’amour et de compassion pour tous les êtres vivants. Sauvons nos valeurs asiatiques dans nos pays !
La « Compréhension Juste » et la « Pensée Juste »
Dans un pays où le développement de la culture mentale tient le premier rang, chacun sait que la « Compréhension Juste » et la « Pensée Juste » appartiennent en propre à la sagesse bouddhiste, et bien la junte a créé en 1994 une armée bouddhiste pour les Karens s’appelant « l’armée bouddhiste démocratique des Karens », la DKBA.
On le voit-là, c’est l’histoire même du Bouddha qui en Birmanie est sévèrement insultée et niée ; le Seigneur Bouddha ne s’était-il pas Lui-même rendu sur les champs de bataille, par compassion et amour universel, pour arrêter les tueries, pour établir la paix et la prospérité des peuples ?
Depuis 1988, où les moines bouddhistes de Birmanie ont suivi le chemin du Bouddha et se sont montrés aux côtés du peuple en manifestant en paix et sans armes pour la démocratie et les droits de l’Homme, ceux-ci n’ont pas pu échapper aux arrestations et à la détention pour leurs actes compatissants. De nombreux moines birmans ont été mis et sont encore en détention ; c’est la réalité de mon pays.
Peut-on voir là, comme résultat de l’action du pouvoir en place, comme bilan de l’histoire contemporaine de la Birmanie, autre chose que la destruction de la culture bouddhiste et des fondements d’une histoire nationale ?
La liberté de pratique religieuse pour les chrétiens et les musulmans du pays est elle aussi soumise à de multiples atteintes et violations ; tout pareillement. La junte, pour attirer l’attention du peuple birman et de l’opinion internationale, pour faire également apparaître justifiable son existence même, crée et attise les haines entre communautés religieuses. Elle a attisé les conflits entre les Karens bouddhistes et les Karens chrétiens, les conflits entre les moines bouddhistes et les religieux musulmans. Et tout cela au nom de sa politique de paix et de développement !
L’enseignement du Bouddhisme dans le pays se fait toujours sous le contrôle du pouvoir
Un autre méfait de la politique mise en place par la junte militaire et que, depuis quelques années, l’enseignement du Bouddhisme dans le pays se fait toujours sous le contrôle du pouvoir et en obéissant aux instructions et aux ordres qu’il donne.
Ceci est parfaitement contraire à la volonté du Bouddha qui n’a jamais lui-même nommé un chef du Dhamma, de la Loi. Le Bienheureux a dit à ses disciples : « il y a mon enseignement ». A l’inverse, la junte n’a pas d’autre politique que de tout ordonner et de diviser pour régner ; cela contribue à détruire le Bouddhisme et sa culture. Car le Bouddhisme est fait pour l’homme et ce ne sont pas les hommes qui ont fait le Bouddhisme.
Les généraux de la junte se rendent bien dans les pagodes et dans les monastères, on le voit sur l’écran de la télévision officielle et dans les journaux qu’ils contrôlent. Peut être espèrent-ils ainsi acquérir quelques mérites en pensant à leurs vies futures, mais cela fait surtout partie de leurs différentes actions de propagande.
Le comble est qu’ils se rendent dans les pagodes en portant leurs uniformes de l’armée, et en portant parfois des armes à feu. C’est tout à fait contraire au message du Bouddha. Et finalement le plus important, pour eux, c’est peut être finalement de montrer leur colère, leur haine, leur violence, tout ce qu’il peut nuire aux autres, même sur les lieux saints. C’est ainsi que la majorité du peuple de Birmanie vit sous la terreur et la répression instaurées par le régime militaire responsable des massacres du 8 août 1988.
Le Bouddha nous a enseigné la souffrance et la Délivrance de la souffrance
Le Bouddha nous a enseigné la souffrance et la Délivrance de la souffrance par les moyens de l’amour universel, la compassion, la joie sympathique et l’équanimité, mais ces généraux birmans font souffrir le peuple en Birmanie par la violence, la cruauté, la jalousie et la partialité. Birmanie : La souffrance du mal !
C’est la raison pour laquelle, Daw Aung San Suu Kyi a déclaré : « Nous voulons que le monde sache que nous sommes prisonniers dans notre propre pays ».
Elle a fait un appel à la communauté internationale pour demander « de faire preuve de compassion, partager la liberté que l’on a avec ceux qui n’en n’ont pas et prendre une position ferme dans la bataille pour la démocratie en Birmanie ». Car, pour elle, « le Bouddhisme engagé ou « social » est la compassion active ou l’amour universel actif. Ce n’est pas seulement rester passif en disant, « je suis désolé pour eux ». Elle ajoute que « l’intégrité politique signifie tout simplement honnêteté en politique. Le plus important est de ne jamais tromper les gens ».
Qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas de « valeurs asiatiques », chacun peut avoir son point de vue, le plus important me semble être de laisser les gens s’exprimer librement. Et en tout cas, il est sûr et certain qu’il y a des valeurs bouddhistes dans nos pays asiatiques : l’amour universel, la bienveillance, la compassion, la non-violence, le respect de l’homme, les droits de l’homme pour le bien-être de l’être humain. Mais, hélas !
La Birmanie se trouve dans une situation politique et sociale déchirée
La Birmanie d’aujourd’hui se trouve dans une situation politique et sociale déchirée, et l’économie est en plein chaos du fait de la malveillance de dirigeants maladroits. Quels sont les derniers événements politiques et diplomatiques à propos de la Birmanie ?
Selon Monsieur Razali Ismail, malaisien et envoyé spécial des Nations-Unis, qui s’exprimait au mois d’août 2002 : « des discussions significatives entre militaires et opposition » devaient « commencer à la fin de la semaine »…et il ajoutait qu’à présent « ça ira très, très vite ».
Quelques jours plus tard le Dr. Mahathir, Premier ministre malaisien en visite d’affaires en Birmanie, a déclaré, contredisant M. Razali, qu’il « existerait des dangers » à « une entrée précipitée dans un système démocratique, qui peut mener à l’anarchie… ».
Le lieutenant-général Khin Nyunt, le numéro un du service secret du régime militaire, a alors tout de suite fait l’éloge du Dr. Mahathir : « Pour nous, a-t-il publiquement déclaré, le Premier ministre Dr. Mahathir Mohamad est plus qu’un leader de la dynamique nation de Malaisie. Il est un homme d’état visionnaire de la région et un ardent défenseur du monde en voie de développement ».
Je rappelle que le Dr Mahatir est l’un des inventeurs d’un universalisme relatif selon lequel il existerait des valeurs asiatiques spécifiques, où la démocratie n’aurait qu’une valeur relative, disons même occidentale, mais où l’islam, lui, aurait une valeur universelle. Et les dirigeants de mon pays en font un « visionnaire » planétaire !
Daw Aung San Suu Kyi a apporté elle-même une réponse dans une interview au magazine « Irrawaddy » le 22 août : « Nous ne pouvons pas accepter l’idée selon laquelle, si la démocratie n’est pas être maîtrisée correctement, celle-ci pourrait mener à l’anarchie. Je pense que cette sorte de commentaire consiste à traiter le peuple de Birmanie avec condescendance ».
Dans son interview avec Radio Free Asia (RFA), service birman, « Le peuple de Birmanie est prêt de s’engager dans la démocratie et à la soutenir » ; « Mahathir est en train de mépriser le peuple birman » ; « La majorité du peuple birman s’engagera dans la démocratie et la soutiendra consciencieusement, et d’une façon positive », a-t-elle répondu. (le 21 août 2002).
Selon la radio « Voix Démocratique de Birmanie », Daw Aung San Suu Kyi, qui s’exprimait par message radio dans le cadre d’un colloque gouvernemental norvégien consacré au pétrole et aux droits de l’Homme le 28 août, a enfin exhorté la communauté internationale à continuer les sanctions économiques contre le régime militaire au pouvoir ; jusqu’à ce que soit établi une étape plus significative du dialogue avec la junte.
Avec la patience on arrive à tout ! Et bien sûr, il nous faut la patience qui signifie, dans son sens profond, l’acceptation de la souffrance elle-même. C’est une attitude de bienveillance et de bonté de l’homme non-violent. C’est même le vrai sens de notre combat non-violent, si j’ose dire, pour la restauration de la liberté de pensée et de religion dans nos pays en Asie du Sud-Est. Vive « Satyagraha » ! Vive « la vérité et l’amour » !
-Pour info : (Depuis le mois d'avril 08) Mes résumés, analyses, traductions, remarques, et réflexions personnelles sont en bleu. Les articles, dépêches, rapports, résolutions ou citations sont en noir
dimanche 1 juin 2008
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