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mardi 17 juin 2008

Birmanie, "Il faudra compter sur nos propres forces pour en finir avec la dictature"


L'aide ne viendra pas des pays extérieurs, comme l'espèrent beaucoup de Birmans "Ce ne sont que des discours. Il faudra compter sur nos propres forces pour en finir avec la dictature...
je n'ai pas peur de la mort, mais de la prison, parce que si vous tombez malade, on ne vous soigne pas. Mais même si on a peur, on essaiera"


  • "Les bonzes méditent une nouvelle révolte"
A l'entrée du monastère, des bonzes drapés dans leur robe safran forment un attroupement autour du vendeur de journaux ambulant. Le match de foot France-Roumanie de la veille fait la une. « Moi, mon équipe préférée, c'est Arsenal », lance Htar Swe en mâchouillant son bétel.

Ce moine bouddhiste vit depuis dix-huit ans dans ce monastère de Mandalay, la deuxième ville de la Birmanie. En septembre, c'est d'ici que sont parties les manifestations pacifiques des bonzes à travers le pays, réprimées dans le sang par la junte. Depuis, le monastère est sous étroite surveillance. « Il y a des espions partout », murmure Htar Swe.
« J'ai dû m'enfuir »

Dans la cour intérieure, quelques bonzes discutent sous un arbre, quand surgissent des centaines de moines affluant vers la sortie. « C'est la pause », explique Htar Swe, impassible.

Ce n'est qu'une fois assis dans une pièce minuscule, à l'abri des regards, qu'il se risque à parler librement. « On discute de la révolte tous les soirs entre nous, confie-t-il en roulant une nouvelle feuille de bétel. On évalue la situation pour voir si on peut refaire quelque chose. »

Un autre moine vient s'asseoir à côté de lui. L'homme, figure respectée du monastère, est revenu ici il y a seulement une semaine. « J'ai dû m'enfuir après la répression de septembre. Je me suis caché pendant des mois », raconte-t-il. S'il est de retour aujourd'hui, c'est pour « voir s'il pouvait faire quelque chose. Je n'ai plus peur. Je veux qu'on se batte pour notre liberté. »
« On attend une opportunité »

Le jour, ces moines collectent les donations de la population pour aider les survivants du cyclone Nargis, qui a frappé le delta de l'Irrawaddy les 2 et 3 mai, faisant 133 600 morts et disparus. Le soir venu, ils se réunissent en petit comité pour élaborer une stratégie. « On attend une opportunité pour pouvoir manifester. » Laquelle ? Htar Swe sourit, découvrant ses dents rougies par le bétel : « Nargis, par exemple. Dans le delta, les gens ont tout perdu. Et dans certains endroits où nous sommes allés pour apporter de l'aide, des gens n'avaient rien reçu ! Je pense qu'ils vont vouloir protester, parce que le gouvernement n'a rien fait pour eux. »

Face à une population sinistrée davantage préoccupée par sa propre survie que par la politique, les moines tentent d'utiliser la brèche ouverte par la catastrophe. « On parle avec les victimes. Ils ont besoin d'un leader qui comprend la politique. Donc on leur explique la situation et on les incite à se révolter. » La manoeuvre n'est pas sans danger : « l'acteur Zarganar, qui était allé dans le delta, a été arrêté début juin et mis en prison à cause de ça », assure Htar Swe. La junte n'autorise désormais que « très peu » de moines à passer dans la zone sinistrée.
« Je n'ai pas peur de la mort »

Htar Swe en est convaincu, l'aide ne viendra pas des pays extérieurs, comme l'espèrent beaucoup de Birmans : « Ce ne sont que des discours. Il faudra compter sur nos propres forces pour en finir avec la dictature. Les Chiliens ont attendu des années. Nous, on attend le bon moment. Mais on ne peut pas le faire vite. »

Pendant le référendum sur la nouvelle Constitution, maintenu en mai malgré le chaos, les militaires, « omniprésents », les ont dissuadés de descendre dans la rue. « C'était impossible de faire quoi que ce soit », lâche Htar Swe. « Mais le moment viendra », car selon lui, « les jeunes sont prêts à mourir » pour leur pays.

Et lui ? « Moi, je n'ai pas peur de la mort, mais de la prison, parce que si vous tombez malade, on ne vous soigne pas. Mais même si on a peur, on essaiera. »

Dehors, les cours sont terminés. Quelques moines s'attardent encore. Htar Swe jette un regard furtif vers la sortie. « Peut-être qu'un jour la démocratie va apparaître en Birmanie, souffle-t-il. On espère. On croit ». Puis, nonchalant : « les joueurs français n'ont pas été terribles hier, hein ? »

Source : Texte Elsa Broissand, envoyée spéciale à Mandalay (Birmanie) - ©2008 20 minutes

Lire aussi : Un moine Birman s'exprime sur l'engagement politique des moines

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